『Chapitre I』
P.O.V Shin
Tranquillement posté derrière la fenêtre de mon appartement, j’observais la pluie. Le ciel, d’un gris sombre, se stria d’un éclair blanc. J’avais toujours détesté l’orage. Ce n’était pas une question de peur, c’était simplement que la lourdeur de l’atmosphère me rendait complètement dingue. Sans compter les pannes d’électricité, les pleurs des enfants, les accidents de voiture, l’eau qui s’infiltre dans les vêtements… Non, vraiment, l’orage, je ne pouvais pas. Comme beaucoup de personnes, me diriez-vous ? Mais tant pis, car justement, vous n’avez rien à me dire. C’était bien connu, je ne recevais d’ordres de personne.
Soudain, la sonnerie du téléphone me ramena à la réalité. Me dirigeant à pas lents vers l’appareil, je décrochais.
- Shin ?
- Ouais.
- C’est moi !
- Qui ça, « toi » ? Demandais-je d’un ton blasé.
- Ton patron, Shin…
- Ha, répondais-je. Et que me vaut l’honneur de ton appel ?
- J’ai un service à te demander… Qui risque de ne pas spécialement te ravir.
- J’t’écoute.
- Faut que tu viennes bosser ce soir, Hideaki est coincé à Osaka à cause de l’orage. Hors on est samedi soir, et avec toi en congé, Akizumi malade et Hideaki à Osaka, on est vraiment plus assez pour ce soir. Ca te pose pas de problèmes ?
Un sourire sarcastique pris place sur mon visage.
- Même si c’était le cas, ça changerait quelque chose ?
- Mmmmmh… A bien y réfléchir, pas vraiment. A ce soir !
- Ouais, c’est ça, répondis-je froidement en raccrochant brutalement mon téléphone.
Mon dernier soir de congé, et il fallait que j’aille travailler.
Saloperie d’orage…
Je soupirais de résignation et me passais une main lasse sur le visage. Bien. Tant pis. Le travail m’appelait, et puisque je me voyais octroyer chaque mois un salaire à faire pâlir un diplomate, cela valait bien quelques concessions. Tout en enlevant machinalement mes vêtements, je me dirigeais à pas lourds à la salle de bain, mes chaussons Totoro traînant misérablement sur le parquet.
J’entrais dans la douche et tournais les robinets. Le filet d’eau vînt me chatouiller les orteils et après m’être habitué à la température, je me décidais à entrer la totalité de mon corps dans la cabine. J’attrapais la bouteille de shampoing et me frottais mollement le cuir chevelu, avant de me rincer le corps et la tête.
La douche avait toujours eu l’avantage d’être expéditive avec moi. En cinq minutes, j’en avais terminé avec la séance nettoyage. Je n’aimais pas l’orage, certes, mais je n’aimais pas l’eau non plus.
Je me penchais et agrippais une serviette que je me balançais sur la tête. Tout en frottant mes cheveux, je m’approchais de mon miroir, dont j’essuyais la buée. Je m’emparais d’une serviette plus grande pour me sécher le corps et le temps d’être totalement sec, la vapeur avait presque totalement disparue de la pièce. Je levais les yeux, et tombais nez-à-nez avec mon reflet, qui semblait me fixer avec un air de pitié qui me donna une soudaine envie de vomir. Je ravalais néanmoins mon dégoût et me contentais de détourner les yeux.
Pourtant, grand nombre de personnes aurait sans doute pu passer des heures à me regarder, moi, Shin, vingt-quatre ans, totalement nu, sans se lasser. Mais le problème était le suivant : les gens n’étaient jamais intéressés que par mon physique. Non pas que cela me déplaise ou quoi que ce soit d’autre dans ce goût là, au contraire. Moins on essayait de me connaître, mieux je me portais. Mais à force d’être admiré pour une simple question d’apparence, j’en venais parfois à me demander si quelqu’un avait un jour vraiment essayé de me connaître.
Je me penchais au dessus de mon lavabo et posais délicatement une lentille sur le bout de mon index, puis l’installais sur ma rétine. Je fis de même avec la seconde, et la teinte grisâtre de mes yeux pris soudain une belle couleur verte. J’ouvrais le tube d’une crème raffermissante et en étalais quelques noisettes sur mon visage. Puis, je me brossais les dents, et sortais de ma salle de bain nu comme un vers.
A l’approche de ma garde-robe, je sentis déjà monté en moi cette indéniable sensation d’ennui et d’hésitation. Mon armoire était tellement garnie que je ne savais même plus quoi mettre.
J’optais pour un caleçon violet, et attrapais nonchalamment un pull fin, manches trois quarts et en col V. J’enfilais le vêtement noir, puis rajoutais une veste caporal dont les boutons et les coutures avaient une teinte dorée. J’enfilais un jean noir, rajoutant une ceinture et enfilais une paire de bottes lacées.
Retournant une nouvelle fois dans la salle de bain, je maquillais mes yeux de noir, accrochais trois chapelets autour de mon cou, quelques bracelets à mes poignets et deux bagues à la main gauche, puis peignais la tignasse indisciplinée qui me servait de chevelure avant d’empoigner mon parapluie et sortir.
Je m’allumais une cigarette et progressais dans les rues, regardant parfois les passants se presser sous la pluie battante. Un frisson me parcourut l’échine lorsqu’une bourrasque de vent s’éleva et vînt me fouetter le visage. J’accélérai le pas et au bout d’une dizaine de minutes, j’atteignais enfin ma destination.
J’entrais par la porte de service et rejoignais le reste des hôtes dans le petit salon. Je les saluais d’un signe de tête et m’avançais vers l’entrée de l’établissement. Je m’approchais des cadres dans lesquels se trouvaient le classement.
Un léger sourire pourfendit mon visage.
En première place, comme depuis sept mois, était inscrit :
Suteki Night, Host Club
No. 1
Shin.
Satisfait, je me retournais et allais m’assoir sur le divan, les pieds nonchalamment posés sur la table.